Ruth Metzler
Palais fédéral
3003 Berne
Ressortissants rwandais, levée
de l'admission provisoire
Berne,
le 20 avril 2000
Madame la Conseillère fédérale,
La Section suisse d’Amnesty International a pris connaissance de la décision prise le 7 février dernier par l’Office fédéral des réfugiés (ODR) de modifier sa pratique vis à vis des ressortissants rwandais admis à titre provisoire en Suisse.
Notre organisation, contrairement à l’ODR estime que le retour des ressortissants rwandais exilés suite au génocide est tout à fait prématuré et que la sécurité de ces personnes n’est pas assurée au Rwanda.
L’ODR se base sur le fait que des milliers de Rwandais sont rentrés dans leur pays d’origine depuis le Congo voisin. Autre " oubli " de la part de l’ODR, les personnes qui sont effectivement rentrés vivaient pour la plupart dans des camps qui se vaient en zone de guerre. Le bombardement de ces camps et les massacres qui y ont été perpétrés en novembre 1996 ont provoqué la fuite de milliers de réfugiés. Une un certain nombre d’entre eux rentré au Rwanda alors que d’autres, près de 200.000, ont fui vers l’intérieur de la République Démocratique du Congo (RDC) où ils ont disparu. On ne saurait dans une telle situation parler de retour volontaire. Dans les mois qui ont suivi, de nombreux massacres ont par ailleurs eu lieu au Rwanda ; on a compté de très nombreux " rapatriés " parmi les victimes.
En 1998 et 1999 des retours ont certe eu lieu vers le Rwanda mais eux non plus ne sauraient être qualifiés de volontaires dès lors qu’ils ont eu lieu essentiellement à partir de zones dévastées par la guerre qui continue de déchirer la RDC .Cette guerre constitue par ailleurs à nos yeux un argument important qui démontre que la situation à l’intérieur du Rwanda n’est pas encore stabilisée. Les troupes rwandaises sont largement impliquées dans un conflit extrêmement violent et dans lequel de très graves violations des droits humains et du droit international humanitaire sont commises : La population civile du Rwanda, est extrêmement inquiète de ce que cette guerre qui se déroule sous leurs yeux ne s’étendent à leur territoire.
Si l’on peut dire que la situation au Rwanda s’est tout de même améliorée par rapport à 1997 les massacres ne se déroulant plus sur une grande échelle, il n’en reste pas moins que notre organisation reçoit encore régulièrement des rapports dénonçant des exactions commises par les troupes rwandaise, notamment dans le Nord-ouest du pays. Tous ces éléments ont été documentés dans divers rapports publiés par Amnesty International
Enfin un récent rapport publié par notre organisation et que nous joignons à la présente démontre à l’envi combien le système judiciaire rwandais n’est pas encore à même d’assurer des procès équitables. Il est par ailleurs notoire que les personnes qui rentrent d’exil sont fréquemment soupçonnées d’avoir participé au génocide ou peuvent être arrêtées arbitrairement sur simple dénonciation d’un voisin.
L’ODR base en partie sa décision sur un rapport du Haut Commissariat pour les Réfugiés (HCR), rapport selon lequel les renvois seraient maintenant possibles. Ce que l'ODR ne dit pas c'est que ce document, établi par la représentation du HCR à Kigali, est largement contesté au sein même du HCR et que son utilisation comme une garantie d’un retour en sécurité ne nous paraît donc pas judicieuse.
Des garanties ont été fournies par l’ODR, que chacun des environ 160 cas de ressortissants rwandais concernés par la levée de l’admission provisoire serait examiné individuellement. Nous craignons que malgré tout des renvois n’aient lieu qui mettent en danger la sécurité des personnes concernées, cela d’autant plus que ces personnes n’ont pas bénéficié d’une procédure d’asile complète puisque l’admission provisoire leur a été accordée de manière automatique sans que le fond de leurs demande n’ait été correctement examiné.
La section suisse d’Amnesty International vous prie donc instamment de faire en sorte qu’aucun ressortissant rwandais ne soit renvoyé contre son gré vers son pays d’origine sans que sa demande d’asile n’ait été examinée sur le fond et qu’il n’ait eu, le cas échéant, la possibilité de recourir efficacement contre une éventuelle décision de renvoi auprès de la Commission de recours en matière d’asile.
Nous espérons
que la présente aura su retenir votre attention et vous prions de
croire, Madame la Conseillère fédérale, à l’expression
de notre considération
Amnesty International
Section suisse
Frauke Lisa Seidensticker
Secrétaire générale